«Un jour en me promenant dans une brocante, j’ai découvert d’anciennes bobines qui m’ont rappelé celles de mes souvenirs d’enfance. Quoique très différentes par la forme et par la matière du fil enroulé, cela m’a transporté des années en arrière dans le village où je suis né.

On y fabriquait la soie et c’est avec délice que nous allions dans les ateliers voir les vers à soie grandir jour après jour. Nous suivions pas à pas les femmes qui leur cueillaient des feuilles de mûriers en espérant profiter du butin et dévorer les mûres juteuses qui nous faisait la langue bleue.

Puis, nous écoutions les milliers de vers dévorer leur repas dans un tintamarre incroyable. A mesure, qu’ils grossissaient ils devenaient de plus en plus inquiétants jusqu’au moment où ils tissaient leur cocon pour disparaître complètement par magie.

Alors, il était temps de les faire bouillir pour prélever le précieux fil. Lorsque le dernier cm était enroulé par les mains expertes des fermières, nos petites mains venaient se saisir de l’insecte, pour le dévorer tel un biscuit.

Quelquefois, après diner, j’aimais aller passer mon temps libre auprès d’une femme qui vivait seule et filait la soie sur un rouet. Je m’y rendais avec mes camarades et mon petit frère. C’était un moment inoubliable, à la fois un peu effrayant car il nous fallait marcher dans le noir et en même temps exaltant car nous attendions avec impatience qu’elle commence à nous conter les fables les plus incroyables.

Celles-ci défilaient scandées par le rythme de la soie qui s’embobinait. Sa voix nous transportait et nous vivions tous littéralement les histoires qu’elle nous racontait, sursautant et hurlant quand elle imitait le tigre ou l’ennemi bondissant. Puis, il nous fallait regagner nos familles et nous rentrions pétrifiés au moindre bruit, guettant les ombres surgir, encore fraichement émus de ces légendes…Celle du fil bleu et du fil rouge est célèbre et encore très répandue en Corée car les 2 couleurs de fil tressés symbolisent l’union parfaite et éternelle des couples.

Voilà pourquoi et comment j’ai commencé soudain avec frénésie à parcourir les brocantes à la recherche de nouvelles couleurs de fil, de nouvelles formes de bobines pour tisser cette nouvelle série photos que j’ai appelé « Transmission »…

C’est à la fois la transmission de cette émotion forte liée à l’enfance guidée par le fil de la bobine mais aussi la transmission d’une culture, impalpable et présente à la fois.